L’élection de la Collectivité Territoriale de Martinique aura peut-être lieu un jour.
Après avoir été prévue en 2012, en 2014, en 2015, il serait même question qu’elle soit reportée en 2016 !
Enfin ! Peu importe la date. Qu’elle soit organisée en mars, en juin, en décembre 2015 ou en mars 2016, le résultat de cette élection changera-t-il le quotidien des citoyens martiniquais ?
1. Compter d’abord sur ses propres forces
Concitoyennes et concitoyens de Martinique, n’attendons pas trop de cette échéance et continuons, pour certains, ou commençons, pour les autres, à prendre le pouvoir sur notre propre vie indépendamment de l’hypothétique actions des élus.
La situation économique se dégrade, le chômage explose, les violences civiles augmentent, nos terres agricoles sont durablement polluées, les inégalités se creusent, certains de nos jeunes formés avec le soutien des institutions publiques et de leurs parents fournissent une main d’oeuvre qualifiée aux multinationales sans aucune motivation de revenir contribuer rapidement au développement de leur territoire d’origine.
Face à ces périls, dont la liste est loin d’être exhaustive, la plupart des hommes politiques en position de gagner la prochaine élection de la Collectivité Territoriale de Martinique, presque tous préoccupés par leur seule carrière, se contentent de gérer au mieux le quotidien, tâchent d’améliorer leur popularité par des discours, des opérations de communication et des postures démagogiques.
Dans une île où les inégalités raciales et économiques ont créé de graves blessures personnelles et collectives (toujours ouvertes en 2014), des dépendances profondes et une résignation sans fin, prendre le pouvoir sur sa propre vie indépendamment de l’hypothétique action des élus n’est pas la voie la plus facile à suivre.
Mais le constat vaut à l’échelle locale, comme à l’échelle globale : les hommes politiques au pouvoir ont et auront de moins en moins d’influence sur notre quotidien.
Malgré les désastres écologiques, malgré la propagation du cancer du chômage, malgré les défaillances croissantes d’entreprises, notre personnel politique continue de faire comme si tout dépendait de lui. Il persiste à faire campagne sur des promesses.
Il construit des programmes qu’il ignore une fois gagnées les élections.
Il s’engage, avant les élections, à protéger l’environnement, à réduire les inégalités, à rétablir la croissance, à distribuer des allocations, des postes, des subventions.
Et nous, électeurs, nous continuons à faire semblant de les croire, d’attendre tout d’eux (un travail pour soi ou pour un membre de la famille, des commandes, un marché, des subventions, une aide, des dérogations et des avantages).
Et quand nous sommes déçus, nous sommes prêts à nous jeter dans les bras des adversaires politiques, même s’ils nous ont déjà déçus par le passé. Ayant la mémoire courte, nous sommes prêts à accorder, naïvement, à ces anciennes majorités le bénéfice du doute.
Concitoyens, le réveil risque d’être brutal si nous ne nous préparons pas rapidement à affronter les conséquences, déjà palpables, de cette perte d’influence des élus sur notre quotidien.
2. De la sous-citoyenneté à l’hyper-citoyenneté
Il ne s’agit pas de dire que les élus ne servent à rien, qu’il est inutile de voter.
Il s’agit de dire et de de répéter à ceux qui nous représentent momentanément que nous attendons plus d’eux que les traditionnels discours messianiques du type « j’ai découvert La Voie, elle m’a été révélée, suivez-moi »
Nous attendons qu’avec humilité ils reconnaissent leurs limites et impliquent vraiment la société, les associations, les experts, les citoyens pour enrichir leurs analyses, leurs décisions et la mise en œuvre de ces décisions.
Et, dans le domaine de la démocratie participative, car c’est ce dont il s’agit, faire semblant est inefficace et décevant. La méthodologie, la manière de procéder et le calendrier doivent être partagés.
Nous attendons de nos élus qu’ils aient une autre conception et un autre exercice du pouvoir.
Notre personnel politique ne se transformera pas par enchantement.
Notre personnel politique changera si nous, citoyens, nous changeons.
Notre personnel politique changera si nous passons d’une sous-citoyenneté à une hyper-citoyenneté.
Notre personnel politique changera si nous, citoyens, nous cessons d’alterner les cycles d’attention intense à la politique (lors des élections sur le mode « combats de coqs ») avec des déserts d’indifférence entre deux consultations électorales.
Notre personnel politique changera si nous, citoyens, nous cessons de concevoir les élus comme des outils de satisfaction de besoins individuels (fournisseurs d’équipements de proximité (route, éclairage, trottoirs, …), pourvoyeurs d’emplois, de déclassements de terres agricoles, d’obtention de subventions…) et que nous commençons à les investir de véritables missions d’intérêt général.
3. Un changement des règles du jeu est nécessaire
Notre personnel politique changera si la loi l’empêche de vivre longtemps de la politique, si la loi l’empêche d’en devenir dépendant.
La politique doit être pour les élus une activité temporaire ou annexe.
Exercer des mandats limités et contrôlés permettrait aux élus de ne pas vivre trop longtemps hors du monde commun, loin des contraintes des citoyens ordinaires.
Plus la fonction politique se professionnalise et plus la carrière personnelle de l’élu prend le pas sur la compréhension de l’intérêt général qu’il est censé incarner, promouvoir et défendre.
Tant que les lois encadrant l’exercice des mandats politiques n’induiront pas de rupture franche avec les comportements actuels des élus (la loi sur le cumul des mandats qui doit s’appliquer à partir de 2017 ne devrait malheureusement pas changer grand-chose), tant que nous, citoyens, nous n’opérerons pas une révolution comportementale, les élections n’apporteront aucun changement notable dans notre quotidien qui continuera de se dégrader si nous ne nous prenons pas en main individuellement.
Pour les citoyens qui doutent de leur capacité à peser sur le personnel politique, rappelons-nous ces mots d’ Étienne de La Boétie extraits de l’essai « sur le discours de la servitude volontaire » – 1549.
« Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais
certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous
allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir
vous-mêmes à la mort.(…) Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. »
Étienne de La Boétie www.singulier.eu/textes/reference/texte/pdf/servitude.pdf
le 23 novembre 2014.
Olivier Ernest JEAN-MARIE – Citoyen Martiniquais