1. Ma responsabilité de citoyen ordinaire
Le 24 janvier 2010, j’ai voté« oui » à la question « Approuvez-vous le projet de création en Martinique d’une collectivité territoriale demeurant régie par l’article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l’identité législative avec possibilité d’adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ? » Résultats : (68% de « oui » avec un taux de participation de 36%).
Pour le citoyen ordinaire que je suis, après avoir fait ce choix du 24 janvier 2010, tout m’a échappé. Le mode d’organisation et le mode d’élection de cette nouvelle collectivité territoriale de Martinique ont été décidés par le gouvernement de l’époque à partir de travaux du 4ème Congrès des élus départementaux et régionaux qui avaient dessiné une collectivité unique inscrite dans le cadre de l’article 74 de la constitution en Décembre 2008 et en juin 2009.
Je me suis comporté comme quelqu’un qui signe un chèque en blanc à un tiers. L’idée qu’il était important que les citoyens soient associés au choix des modalités d’organisation et d’élection de cette nouvelle institution ne m’a pas traversé l’esprit une seule seconde. J’étais en confiance.
Quel est le résultat de cette confiance aveugle ? Un mode de scrutin des conseillers de l’Assemblée de Martinique illisible : une usine à gaz, le taux d’abstention le plus élevé, en décembre 2015 (59% au premier tour), des élections régionales depuis 1983 (date de l’élection de la première assemblée régionale de Martinique), des élus qui n’ont pas anticipé ce changement institutionnel majeur, une organisation (distinguant l’assemblée de l’exécutif) censée renforcer la démocratie sur le papier mais conduisant, dans la pratique constatée depuis 2 ans, à une hyper centralisation du pouvoir.
Le citoyen ordinaire que je suis a sa part de responsabilité dans cette situation. Je n’ai pas été assez vigilant pour m’approprier ce changement institutionnel, pour exiger d’être associé à la mise en œuvre de cette réforme complexe. Je n’ai pas été assez exigeant quant au sens de ce changement et à la mise en œuvre de cette collectivité unique dont j’ai validé la création.
2. L’inévitable retour du débat institutionnel et/ou statutaire
Je retiens cette leçon pour l’avenir. Il ne faut pas être devin pour comprendre que le débat statutaire reviendra sur les devants de la scène politique martiniquaise. Ne pointe-t-il pas déjà le bout du nez avec le projet de réforme constitutionnel du Président de la République en 2018 et l’arrivée au pouvoir en Corse d’une coalition nationaliste bien déterminée à profiter de l’occasion pour faire prendre en compte la spécificité de la Corse, ses attentes et ses besoins ? N’est-ce pas ce contexte qui a conduit le Parti Progressiste Martiniquais à réaffirmer son mot d’ordre d’autonomie en décembre 2017 ?
Certes, la majorité actuelle de la Collectivité Territoriale de Martinique ne semble pas s’intéresser à ce débat. Pour être plus précis, les signataires du pacte de gestion du 9 décembre 2015, Alfred MARIE-JEANNE et Yan MONPLAISIR, ne devraient pas renier leur « contrat de mandature garantissant le respect du cadre statutaire ». Cependant Claude LISE, Président de l’assemblée de Martinique, dans ses vœux pour l’année 2018, semble marquer un intérêt pour « ce que le Président de la République a appelé « l’ère de la différenciation » »
Donc, cette question du changement institutionnel et/ou statutaire qui anime le débat politique en Martinique depuis la fin des années 50 reviendra tôt ou tard nous rendre visite.
3. La prochaine fois, je serai plus exigeant
En tant que citoyen ordinaire, je me prépare à être plus exigeant que je ne l’ai été jusqu’à maintenant.
Dans un monde volatil, incertain, complexe, et ambigu, il n’est pas choquant de prévoir un cadre institutionnel et/ou statutaire évolutif.
Cependant, je ne commettrai pas pas à nouveau l’erreur de me contenter de valider un principe. La prochaine fois, je demanderai que je sois aussi consulté sur les modalités de mise œuvre de mes décisions portant sur l’évolution institutionnelle et/ou statutaire.
Par ailleurs, lors du prochain épisode de fièvre statutaire qui saisira mes élus, mes représentants, mes serviteurs, je demanderai que des citoyens ordinaires soient associés en amont.
Je tacherai de leur rappeler que le cadre statutaire et/ou institutionnel est un moyen et non une fin en soi. Que cet instrument a pour fonction de répondre aux besoins de notre communauté. Que cet outil doit être au service d’une vision et d’une ambition qui s’appuient sur des valeurs. J’essaierai de leur faire partager qu’au XXIème siècle, face aux défis que nous devons relever en Martinique, dans la Caraïbe, en Europe et dans le Monde (défis écologique, sanitaire, culturel, économique, politique, social, technologique, psychologique, …), aucun projet de programme politique aussi complet, crédible et cohérent soit-il, n’apportera de changements profonds et durables s’il n’est pas porté, préparé et pris en charge par un nombre significatifs de citoyens ordinaires. J’essaierai de les convaincre que la définition de la vision, le dessin de l’ambition et l’identification des valeurs et des besoins doivent faire l’objet de démarches réellement partagées par les élus, les administratifs, les citoyens et les médias qui devront aussi être impliqués dans ces exercices.
En 2018, 170 ans après l’abolition de l’esclavage, 72 ans après la loi de départementalisation, le citoyen ordinaire que je suis tire les leçons des débats et des consultations institutionnelles et/ou statutaires, exprime ses besoins de considération, de confiance, de contribution qui désormais lui interdiront de participer à toute consultation institutionnelle et/ou statutaire superficielle qui ne serait pas précédée d’un dispositif sincère et transparent de co-construction d’une vision partagée de la Martinique.
Olivier Ernest JEAN-MARIE
Citoyen martiniquais
Le 8 janvier 2018
Sources consultées :
https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Regionales
http://journals.openedition.org/plc/147
http://journals.openedition.org/plc/182