D’octobre 2017 à Mai 2018, le gouvernement français organise Les Assises des outre-mer. Voici comment cette initiative est présentée sur le site internet qui lui est dédié : « Il s’agit d’un temps d’échange et de réflexion avec l’ensemble des ultra-marins. C’est l’occasion pour chacun d’entre vous de prendre la parole et de vous exprimer sur ce que nous pouvons tous faire ensemble pour votre territoire. Grâce aux Assises, vous pourrez participer à la construction de politiques innovantes et de projets de développement qui serviront à guider notre parcours commun au cours du quinquennat. » https://www.assisesdesoutremer.fr/
Telle que j’ai perçu l’organisation des assises des outre-mer, cet exercice participatif risque de déboucher sur des résultats mitigés.
Pourquoi ? Pour 4 raisons principales
1. Les conditions d’établissement d’un dialogue sincère et transparent ne sont pas réunies. La traçabilité de la contribution d’un citoyen ou d’une personnalité qualifiée à la prise de décision finale n’est pas lisible. Les critères d’arbitrage sont inconnus. Les règles du jeu ne sont pas claires et l’implicite prévaut. Cette absence de transparence nuit à la participation du plus grand nombre.
2. Dans cette initiative, l’approche de l’action publique est une fois de plus cloisonnée (équipements publics, développement économique, emploi, environnement, santé, jeunesse, culture, sécurité, risques majeurs) alors que notre monde de 2017, accéléré, complexe et ambigu, exige d’adopter des visions transversales et systémiques. Ce type d’approche cloisonnée se traduit par des politiques publiques inefficaces.
3. Il n’y a pas de capitalisation des expériences passées. Il n’est tenu aucun compte des réflexions collectives organisées ou des politiques publiques appliquées au cours de 30 dernières années. De mon point de vue de citoyen ordinaire, aucune évaluation des impacts sur le développement du territoire et le bien-être des Martiniquais des initiatives, des lois, des schémas, des projets, des plans conçus et/ou mis en œuvre en Martinique depuis 1986 n’a été réalisée. Citons pêle-mêle et sans exhaustivité, les lois défiscalisation (à partir de 1986), Confluence 91, la loi Perben (1994), la loi d’orientation de l’outre-mer (LOOM – 13 décembre 2000), la loi de programme pour l’outre-mer (LOPOM – 21 juillet 2003), le Projet Martinique (Conseil Régional 1998-2004), le Schéma Martiniquais de Développement Economique (SMDE Conseil Régional 2004-2010), l’Agenda 21 (Conseil Général 2005-2011), les Etats Généraux (2009), La loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM – 29 mai 2009), le Plan d’Actions et de Développement de la Martinique (PADM – Conseil Régional 2010-2015). Ne pas tenir compte des essais et des erreurs des initiatives précédentes peut conduire à les renouveler.
4. Ne pas prévoir de dispositif d’évaluation et de suivi des décisions et des projets réduit l’efficacité et la crédibilité de cette initiative. Le résultat final des assises des outre-mer est la labélisation de projets et l’édition d’un livre bleu Outre-Mer en mai 2018. Ce livre bleu outre-mer devrait servir de feuille de route du gouvernement pour les Outre-Mer jusqu’en 2022. Parce que nous vivons dans un monde VICA (Volatil, Incertain, Complexe et Ambigu), il est fort probable que beaucoup de propositions exprimées en 2017, retenues en 2018 n’aient pas été appliquées d’ici 2022. L’édition d’un livre bleu-feuille de route jusqu’en 2022 correspond à une manière de penser (un paradigme) selon lequel nous fixons des objectifs puis nous choisissons un itinéraire pour les atteindre « toutes choses égales par ailleurs ». Dans notre monde VICA, la condition « toutes choses égales par ailleurs » n’existe pas ou est éphémère. A titre d’exemple, quels gouvernants hexagonaux ou locaux avaient prévu la crise financière de 2008, le mouvement social aux Antilles en 2009, la mobilisation populaire en Guyane en 2017, l’impact des ouragans Maria et Irma sur le flux de croisiéristes en Guadeloupe et en Martinique en 2017 ? Nous vivons dans un monde et à une époque VICA (Volatils, Incertains, Complexes et Ambigus). Dans ce contexte, nous avons besoins de dispositifs agiles et continus qui privilégient l’apprentissage et l’adaptation au détriment de la prédiction et de la planification. Il serait donc utile de prolonger le dispositif des assises des outre-mer tout au long du quinquennat pour suivre et évaluer les décisions prises en mai 2018 et pour les adapter à tous les imprévus (sociaux, réglementaires, géopolitiques, climatiques, économiques, …) qui ne manqueront pas de subvenir d’ici 2022.
Pratiquer plus de transparence, adopter une approche systémique de l’action publique, capitaliser l’expérience du passé, organiser des dispositifs de suivi et d’évaluation des politiques publiques, voilà quelques propositions d’un citoyen ordinaire pour faire de cet exercice participatif une opportunité de sortir du chouval bwa politique et cesser de tourner en rond dans la calebasse de notre île.
Olivier Ernest JEAN-MARIE
Citoyen martiniquais
Schoelcher, le 1er décembre 2017